Dans le cadre de l’exposition « Vous restez pour dîner? » 9 mai-18 juillet 2015 Artistes invités: Absynthe & Paprika | Agapanthe : Konné & Mulliez | Dominique Angel | Marielle Chabal | Ymane Fakhir | Louise Germain | Paul-Armand Gette | Cynthia Lemesle & Jean-Philippe Roubaud | Natacha Lesueur | Saverio Lucariello | Jérémie Setton | Laurent Védrine : chronique archéologique d’un banquet de Daniel Spoerri Commissaire Christiane Courbon Art et nourriture, continuation et transmission. L’idée de consacrer une année au thème de la nourriture fait sens à Châteauneuf-le-Rouge : en 2015, le village organise son 23ème festival de la Gastronomie provençale, qui accueille chaque année au mois de juillet chefs étoilés, vignerons et producteurs, rassemblant de nombreux amateurs d’art de vivre. La commune devrait prochainement se doter d’une école de cuisine et un projet de jardin potager voir le jour. Autant dire que la nourriture y est un sujet important. Vous restez pour dîner? Avec cette exposition et son titre en forme d’invitation, Arteum entend confirmer sa vocation de diffusion et de soutien à l’art contemporain en lien avec le patrimoine existant, tout en ayant pour objectif de susciter aussi chez un public élargi et divers, un véritable intérêt pour l’art de notre temps. La nourriture, à chaque époque, a pris une part importante dans la pensée et la création artistiques. Dans l’abondance des mets représentés, évocateurs de plaisirs éphémères de cette exposition, plane le message délivré par les étourneaux psychopompes de Cynthia Lemesle et Jean-Philippe Roubaud ou par les Vanités et autres memento mori d’une société de consommation qui connut son plein essor et s’interroge à présent sur ses limites. Nous retrouverons certaines de ces préoccupations dans la démarche de Saverio Lucariello, de Dominique Angel… Nous en trouverons d’autres : au-delà de l’étalage de saveurs et des questions esthétiques et plastiques qui sont soulevées, émergent celles du vrai et du faux, de l’imitation et de la représentation. C’est tout le propos de Lemesle et Roubaud. Emergent aussi celles de la mémoire culturelle et identitaire, opérant un glissement du souvenir de l’expérience intime vers une dimension universelle, tel celui qu’on décèle dans le travail d’Ymane Fakhir. Étranges hybridations, corps travestis, entre-deux permanents véhiculent l’ambiguïté et l’ironie. On pense, bien sûr, à Natacha Lesueur, mais aussi à Konné & Mulliez, à Paul-Armand Gette, à Marielle Chabal, à Jérémie Setton. L’ambiguïté, d’ailleurs, ne caractérise-t-elle pas les rapports que nous entretenons avec la nourriture et notre façon de nous alimenter? Les artistes d’aujourd’hui n’en finissent pas d’établir des correspondances avec un passé qui nourrit leur création, laquelle à son tour nourrira les œuvres à venir. Dans cette exposition, ils nous entraînent dans le sillage de Zeuxis, maître du trompe l’œil souvent considéré comme l’un des plus grands peintres de l’Antiquité, de Jean-Baptiste Oudry, Albrecht Dürer, Edouard Manet, Paul Cézanne, Piet Mondrian, Tony Cragg, Joachim Mogarra, Niele Toroni, Damien Hirst… L’un des liens évidents entre art et nourriture réside dans la continuation et la transmission. La « nature morte au lapin et au chou » de Louise Germain a été placée, en hommage à cette artiste discrète, au cœur de l’exposition dont elle constitue un pivot entre passé récent et présent, tout autant qu’un lien avec l’histoire locale : née à Gap en 1878, elle mourut à Aix-en-Provence en 1939, après avoir consacré sa vie à la peinture et aurait travaillé dans la proximité de Cézanne. Laurent Védrine signe le documentaire qui constitue un autre des marqueurs-temps de cette exposition. Le film retrace le Déterrement du tableau-piège de Daniel Spoerri, à l’occasion des « premières fouilles archéologiques de l’art contemporain », vingt-sept années après l’ensevelissement sous des mètres cubes de terre de l’ultime tableau-piège de l’artiste, qui eut lieu le 23 avril 1983. A l’évocation de ce déjeuner sous l’herbe, ainsi nommé en référence ironique au tableau Le Déjeuner sur l’herbe de Manet, lui-même inspiré du Concert champêtre de Titien, répondent l’aquarelle de Jérémie Setton, Retraits, et l’installation d’Absynthe & Paprika, Déjeuner sur l’herbe 2.0. Ainsi à la croisée de différents champs de réflexion, les initiatives autour de la nourriture ne manquent pas. Pour exemple, cet autre grand banquet d’adieu organisé le 20 décembre 2012 par les Cahiers européens de l’imaginaire à La Générale, avenue Parmentier à Paris : une centaine de personnes, artistes, sociologue, acteurs culinaires et autres observateurs s’étaient réunies autour de la table avant la fin du monde proclamée pour le 21 décembre. Manger ensemble, un recueil d’articles succulents sur le sujet, fut ensuite publié dans les Cahiers européens de l’imaginaire – CNRS éditions. Durant l’été 2014, Le festin de l’art, une exposition produite par la Ville de Dinard et dont le commissariat fut assuré par Jean-Jacques Aillagon, empruntait un ensemble important d’œuvres à la Collection de François Pinault. Le sujet est vaste, actuel : l’Exposition Universelle de Milan, qui vient d’ouvrir ses portes à l’heure où j’écris, a pour objectif d’entraîner les nombreux acteurs du projet autour du thème crucial, centré sur le visiteur: Nourrir la Planète, Energie pour la Vie. Plus près de nous, le MuCEM présentait d’octobre 2014 à mars 2015 l’exposition FOOD. Produire, manger, consommer, fruit d’un travail entre le musée des civilisations d’Europe et de Méditerranée et l’ONG Art of the world, qui avait déjà été montrée à Genève et Sao Paulo. Jean-Roch Bouiller, Conservateur en chef responsable du secteur Art Contemporain au MuCEM, en fut le commissaire associé. Je le remercie d’avoir accepté de commenter aujourd’hui l’exposition d’ARTEUM et d’avoir porté une attention particulière au travail de chacun des artistes présentés. Très près de nous encore, c’est à Jean-Philippe de Tonnac et Anne Le Cozannet-Renan qu’on doit d’avoir rassemblé, dans un recueil intitulé L’ami intime. Un musée imaginaire du pain, une importante iconographie, peintures et photographies d’artistes, qui dit la relation intime qu’entretient l’homme, depuis nos ancêtres jusqu’à nos jours, avec le pain. A eux aussi, j’adresse mes remerciements de venir faire lien, lors d’une projection-conférence, avec le sujet de notre exposition. Comme en point d’orgue à Blé et Pain, deux des cinq vidéos d’Ymane Fakhir