Dans le cadre de l’exposition : « Il y avait une fois » 12 mars-19 avril 2014 Artistes invités: Katia Bourdarel, Anne-Charlotte Depincé, Keiko Hagiwara, Laurent Perbos, Nicolas Pincemin, Lionel Sabatté, Gaëtan Trovato. Commissaire Christiane Courbon Il y avait une fois… Le titre de l’exposition recourt à la formule spontanément évocatrice qui introduit le conte. Il l’inscrit ainsi dans un genre codé, à partir duquel le spectateur pourra mesurer l’écart, en s’imprégant des oeuvres des artistes. A l’origine de ce thème, le lieu. Construit aux XVII-XVIIIèmes siècles près des ruines de l’ancien village fortifié Castrum Novum Rubrum, le château neuf a remplacé le château vieux, attribuant au village son nom. Dès l’arrivée, à Châteauneuf le Rouge, il faut d’abord franchir un portail de fer forgé. Après une calade* en pente douce et un deuxième portail, pénétrer dans une cour carrée cernée de hauts murs tapissés de grimpants. De cet enclos d’ocres aux rouges flamboyants à l’automne et chauffés à blanc l’été, on s’engouffre dans la fraîcheur des bâtiments pour gravir les étages. Le musée est hébergé au sommet du château depuis 1986. La restauration de la toiture et la rénovation intérieure fin 2012 ont marqué la volonté de préserver ce Patrimoine. Depuis les fenêtres, la lumière réinvente, selon les heures, les paysages, d’une somptueuse diversité. Au Nord, la barre de calcaire continue du Cengle qui domine les marnes rouges donnant accès à la vallée de l’Arc happe le regard, tandis qu’à l’est, les silhouettes déstructurées de hauts platanes scandent le rythme des saisons, dominant un ancien jardin de buis à la Française. Les tomettes aux teintes passées maculées des traces du temps ondulent sous les pas, la verticalité des murs défie toute propension à l’usage d’un niveau pour l’accrochage. Le décor chargé d’Histoire constituait le cadre idéal à ce projet. Dans un entre-deux fait de passé et de présent, la place à l’imaginaire se décuple. Dans le récit, c’est l’invention d’une nouvelle forme narrative qui prévaut. Les artistes se sont glissés dans ce parcours, entrant par une porte, ressortant par une autre, pour venir tourner une à une les pages d’une histoire créée tout au long des salles. Dans une narration sans fil au cœur de laquelle les repères se perdent, où l’intemporalité propre à l’univers du conte s’installe, la scénographie favorise tantôt les harmonies subtiles, tantôt les télescopages : d’images dessinées, peintes ou vidéographiques et d’installations, tant picturales que sculpturales. Suivons-les d’espaces clos en lieux ouverts, de lumières tempérées ou de semi-pénombre en luminosités crues, voire grinçantes, qui bousculent les codes. Les univers multiples, poétiques, ambigus, troublants, esthétiques, mais aussi les pratiques se croisent et se décroisent. En explorant les divers aspects d’une mythologie contemporaine, qui est la leur ou qui est la nôtre, qui mélange histoire individuelle et Histoire commune, ils revisitent l’universalité et la richesse symbolique du conte et donnent à voir le fonctionnement du monde qu’ils rendent intelligible. – Christiane Courbon, Mars 2014. Des escalators aux chariots ailés… Innombrables sont les récits du monde. C’est d’abord une variété prodigieuse de genres, eux-mêmes distribués entre des substances différentes, comme si toute matière était bonne à l’homme pour lui confier ses récits : le récit peut être supporté par le langage articulé, oral ou écrit, par l’image, fixe ou mobile, par le geste et par le mélange ordonné de toutes ces substances; il est présent dans le mythe, la légende, la fable, le conte, la nouvelle, l’épopée, l’histoire, la tragédie, le drame, la comédie, la pantomime, le tableau peint (que l’on pense à Sainte Ursule de Carpaccio) le vitrail, le cinéma, les comics, le fait divers, la conversation. Roland Barthes[1]. Qu’elles soient issues du mythe ou du conte, l’homme n’a de cesse de revenir à ces histoires ancestrales qui semblent fonder la vision de notre rapport au monde, la vision de notre rapport aux autres et le fondement même de notre humanité. La pratique du conte est le moment privilégié pour le rêve, l’imaginaire, mais c’est également un moment communautaire[2]. Ces histoires ont le pouvoir de nous emmener vers un ailleurs à la fois naturel et surnaturel, possible et impossible, logique et illogique. Des mondes fantastiques ou merveilleux où l’on rencontre les dieux, les fées, les ogres, les sorcières et les elfes. Des êtres imaginaires, malveillants, bienveillants, dotés de pouvoirs fabuleux, des cabanes, des grottes, des rivières, des fontaines et des forêts où la magie est maîtresse en ces lieux. Mais le conte nous emmène aussi vers un envers de soi, de l’autre côté de son propre miroir, là où se révèle l’indicible de nous-mêmes… Les contes de fées, les contes populaires, les contes merveilleux, les contes facétieux, les contes initiatiques, tous exposent un héros à des problèmes existentiels, eschatologiques[3], où la dualité d’un pseudo-bien et d’un pseudo-mal fonde les principes d’un monde manichéen dans lequel le peuple enfant, comme le nomme Alain, trouve des repères explicites. Mais pour l’adulte, le conte est révélateur de son ambivalence morale, de son attirance vers le sombre. Il alimente son goût de la frayeur, il est le condensé d’une histoire psychanalytique de l’homme qui navigue en un état tout sauf manichéen. Force et profondeur du conte : sa simplicité éveille en chacun de nous un grand nombre d’oreilles simultanées et son extrême réserve ne l’empêche en rien d’envoyer des sondes explorer les aspects les plus troubles et les moins disciples de la vie psychanalytique.[4] Pierre Péju. Si encore aujourd’hui les artistes se réfèrent à ces récits, s’ils les détournent, les réactualisent, les malmènent ou les illustrent, qu’ils s’y réfèrent pour leurs aspects enchanteurs (Alice Anderson) ou subversifs (Wim Delvoye) c’est que les contes constituent le vivier universel dans lequel les plasticiens puisent les mystères de la théogonie[5], de l’anthropogonie[6] et de la cosmologie[7]. S’ils y reviennent pour leur charge morale, psychanalytique ou pour leurs fonctions sociétales, c’est que depuis les mythes fondateurs, nous n’avons pas inventé de nouveaux mondes. Cette époque dite désenchantée, c’est-à-dire où l’on procède à l’abandon des croyances en la magie et en les religions, induit ce recours au conte et